Je taille MA route !

 Dés le matin, par les grand'routes coutumières

Qui traversent champs et vergers
Je suis parti clair et léger
Le corps enveloppé de vent et de lumière


Je vais , je ne sais où. Je vais, je suis heureux
C'est fête et joie en ma poitrine
Que m'importent droits et doctrines
Le caillou sonne et luit sous mon talent poudreux 





















 
 
Je marche avec l'orgueil d'aimer l'air et la terre
D'être immense et d'être fou
Et de mêler le monde et tout
A cet enivrement de vie élémentaire.


Oh ! les pas voyageurs et clairs des anciens dieux 
Je m'enfouis dans l'herbe sombre 
Où les chênes versent leurs ombres 
Et je baise les fleurs sur leur bouche de feu.



Les bras fluides et doux des rivières m' accueillent 
Je me repose et je repars
Avec mon guide : le hasard 
Par des sentiers sous bois dont je mâche les feuilles


Il me semble jusqu'à ce jour n'avoir vécu 
Que pour mourir et non pour vivre
Oh! quels tombeaux creusent les livres 
Et que des fronts armés y descendent vaincus !



Dites, est-il vrai qu'hier il existât des choses 
Et que des yeux quotidiens 
Aient regardé avant les miens 
Se pavoiser les fruits et s'exalter les roses !


Pour la première fois, je vois les vents vermeils
Briller dans la mer des branchages
Mon âme humaine n'a point d'âge 
Tout est jeune, tout est nouveau sous le soleil 


J'aime mes yeux, mes bras, mes mains, ma chair, mon torse
Et mes cheveux amples et blonds
Et je voudrais par mes poumons
Boire l'espace entier pour en gonfler ma force


Oh ! ces marches à travers bois, plaines, fossés
Où l'être chante et pleure et crie
Et se dépense avec furie 
Et s'enivre de soi ainsi qu'un insensé !


Emile Verhaeren "Un matin" Les forces tumultueuses